vendredi 11 janvier 2013

Recherche d'une définition pour un musée


Résumé : réflexion menant à la définition d'un musée ou d'une exposition qui placerait au coeur de son projet l'expérience mentale, sensorielle et pratique qui peut être faite de l'espace muséal, conçu comme univers esthétique et fictionnel composé d'éléments liés entre eux de manière cohérente installés dans la temporalité d'une visite, et livré à l'interprétation (interactivité, play) des visiteurs.

Il conviendrait, dans une dynamique de projet novatrice et offensive, de redéfinir pas tant ce qu'est un musée, que ce qu'est l'action de faire musée, de muséaliser, de muséifier, tous termes qui conviennent assez mal en raison probablement des connotations liées au terme "musée".

Les définitions normatives, étroites et ratant leur cible dans une visée analytiques, sont ajustées à une telle perspective, qui ne cherche pas à définir ce qui est, ni à imposer ses vues, et qui abandonne toute envergure universalisante pour se consacrer à l'advenue hypothétique d'une forme particulière.

Les définitions sont seules acceptées, et d'autant mieux qu'elles ne correspondent pas à des formes existantes. Encore que le domaine muséal soit difficile d'approche du fait d'un respect prononcé de la tradition et autres autorités institutionnelles et scientifiques. Malgré un nombre très important de musées, la tendance est à la centralisation des regards et des pratiques, et rares sont les projets qui ne sont pas montés ou fortement soutenus par des institutions politiques, lesquelles se font plus techniciennes qu'engagées, politiquement ou créativement. La professionnalisation du domaine et la rigidification des pratiques et points de vue ont partie liée à cette évolution. Et dans un contexte où les grands projets soutenus au plus haut niveau politique sont réalisés quoi qu'il advienne et quel que soit le projet, surtout s'il se ressemble fortement à ce qui existe déjà, tandis que le manque d'argent ou sa supposition recroqueville les ardeurs entreprenantes vers la mimétique de l'existant ou l'application des mots d'ordre à la mode dans la supposition que ceci et cela, au moins, ça devrait fonctionner, les réflexions de fond et les innovations surprenantes, baroques, originales, se rencontrent rarement.

1. Je veux (me) sentir (dans) un lieu qui a une consistance propre, une épaisseur. Je me sens parfois mieux dans le logement d'un vieux couple que dans certains musées. Le lieu est accueillant parce qu'il est habité. Ce n'est pas affaire de sourires commerciaux et de design d'espace, et les bric-à-brac poussiéreux ne fonctionnent pas non plus.

2. Je veux faire des rencontres, et je ne sais pas à l'avance avec quoi (ou qui). Le musée est le lieu où j'articule dans ma continuité qui exclut nulle métamorphose des éléments qui ne faisaient pas partie de mon univers. Lorgner vers la publicité est une mauvaise solution, il ne s'agit pas d'acquérir quoi que ce soit, mais de brancher son devenir à ce qui est proposé, au moins le temps de la visite. Les anciennes vitrines réfléchissent ce rapport publicitaire, et leurs chantres explicitent la nécessaire frustration d'un objet de valeur aussi fascinant qu'intouchable - est-ce là tout ce que les musées peuvent proposer ?

3. Le musée doit cohérent, il faut sentir la main d'un auteur qui a pensé et ordonner les éléments et leur agencement. C'est souvent le cas pour les accrochages, qui restent très en-deçà des possibilités muséologiques, bien plus rarement des expositions plus complexes, où le rôle du commissaire consiste généralement et selon un plan qui n'a rien de muséologique. On retrouve là la sélection et l'ordre, mais dans une perspective plus adaptée au catalogue de l'exposition qu'à l'espace muséal. Curieusement, il serait certainement préférable de s'inspirer de cet autre type de littérature que sont les romans.

4. Il faut que l'espace muséal soit construit comme un dispositif. Ce n'est pas tout d'être cohérent, il faut encore être articulé. Il y a un fonctionnement, il y a des règles. C'est dire qu'un dispositif est fait pour être utilisé, non pour fonctionner tout seul au bénéfice de spectateurs. Et c'est encore mieux si ce ne sont que des principes, cela permet de tendre moins vers le game que vers le play. C'est ainsi que le dispositif est orienté publics.

Ces points envisagent finalement le musée comme traduction du roman. Et un roman n'est pas un texte, et pas forcément une histoire. C'est un univers esthétique et fictionnel d'éléments liés de manière cohérente, généralement dans une continuité temporelle.

Il faut ajouter à la forme muséologique ce qui relève dans le roman de la lecture elle-même, qui autorise le play, et déjà l'interactivité, par l'imagination du lecteur, interprétation par laquelle le roman ne sera pas le même pour tout le monde et chacun sera touché, rencontré, transformé, différemment par un même roman.

Cette spécificité de la lecture se retrouve sans doute dans la visite. Alors c'est bien moins cette spécificité qui différencie roman et musée que la forme concrète du dispositif à mettre en oeuvre.

L'intérêt du musée à cet égard est immense. Le romancier n'a que les mots, comme le cinéaste n'a que la caméra, la perche et la musique qui peut être intégrée à la bande-son. Les ressources offertes à l'espace muséal peuvent comprendre toutes celles des autres arts. La difficulté tient plutôt à la nécessité de passer d'un élément à l'autre de manière continue, que leur agencement les inscrivent dans une intuition, une spontanéité. Le musée a là beaucoup en commun avec les espaces merveilleux des magiciens et autres forains, partageant avec eux un théâtre de la technique.

Tout ceci s'oriente vers des sujets d'exposition a priori très différents de ceux proposés couramment, tels des romans adaptés au musée. Pourtant, rien ne dit qu'il ne s'agit pas d'une autre façon de comprendre et de pratiquer l'espace muséal, qui peut s'adapter, et réciproquement, à tous les sujets envisageables.

A ceci près, sans doute, qu'il semble supposé qu'une visite d'exposition est d'abord une expérience mentale, sensorielle et pratique, et que c'est à cette expérience que l'espace muséal doit être plié. Lors que beaucoup entendent que les publics s'adaptent à l'expérience proposée, qui n'a souvent que peu de chose à voir avec l'intention annoncée.

A minima, c'est simplement chercher à mettre en accord l'espace muséal avec l'expérience des visiteurs souhaitées. Mais ce qui peut sembler être un lieu commun, voire une règle muséologique de base, n'est pourtant que rarement respecté dans les musées que tout un chacun peut visiter.