dimanche 12 avril 2015

La citoyenneté aujourd'hui et les institutions culturelles

On entend « civil » en opposition à « militaire », et la société civile comme non militarisée. Une société militarisée régule tous les rapports selon des règles strictes, confie des uniformes, ordonne les places et construit les lieux de vie et de travail, qui se confondent, comme des dispositifs rationnels.
La société utopique, celle-là même qui depuis le début du 16e siècle inspire largement nos organisations et réflexions politiques et sociétales modernes, dans une lointaine lignée platonicienne, a tout d’une caserne. Le panoptique, presque 3 siècles plus tard, inscrira dans le dessin d’un dispositif technique cette visée globalisante ultra mondaine de la charge politique.
Aujourd’hui la meilleure protection d’une activité passe par une professionnalisation, encadrée par des lois, des centres de formation agréés, des obligations contractuelles, des prix fixés, des règles de sécurité, etc.
Et les personnes engagées dans les activités reconnues les portent, en reconnaissance et identification comme en responsabilités, au-delà de leurs temps et lieux professionnels, tels le médecin ou l’architecte. D’autres corps, comme les fonctionnaires, voient leurs paroles et leurs actes réduits du fait de leur engagement professionnel. Et pour beaucoup de professionnels, de telles limites s’appliquent du fait de peurs, de contraintes hiérarchiques explicites ou implicites, d’une politique diffuse.
La société civile s’entend à l’exclusion des professionnels, excluant le champ économique, mais aussi organisationnel et gestionnaire, important dans le cadre d’un légitime Etat-Providence. Elle comprend, en tant que groupements constitués, essentiellement les associations, rejointes par les organisations économiques légères dispensant les services dans les interstices d’une société toujours davantage contractuelle. Ces dernières, cependant, tendent à organiser à leur profit les initiatives collectives, généralement d’échanges divers entre particuliers, sans expression publique autre que leur action économique – ces initiatives collectives relevant elles-mêmes de l’auto-organisation économique sans prétention à une telle expression sinon pour demander un droit (droit de louer son véhicule ou son logement en dehors des organisations réglementées, par exemple).
Face à une crise du politique mêlant professionnalisation du champ politique, starisation médiatique des représentants politiques et désengagement spectatoriel des citoyens, ces derniers sont toujours plus engagés en tant que professionnels et toujours moins en tant que citoyens. La République, régime essentiellement institutionnel, repose sur une action de chacun incluse dans les réglementations professionnelles, économiques, juridiques, qui régulent l’activité non civile, et leurs formes sociologiques et possibilités interactionnelles afférentes particulières.
La société des loisirs, notion proche de la pensée socialiste, est ce champ laissé en friche à la société civile, et investi professionnellement de façon massive depuis 15 ans (écoles d’art, de design, loi musées de France, etc. – le statut d’intermittent du spectacle date lui de 1936, sous le Front Populaire). Les citoyens, invités à s’y épanouir, à la fois l’intègrent à leur art de vivre et à la fois se trouvent bombardés de propositions atomisées qui peinent à faire sens.
L’appropriation individuelle produisant des citoyens cultivés, exercés, dans une religion, au sens de l’exercice physique, intellectuel et spirituel mis en relief par Sloterdijk, de la culture à la disposition de tous et appropriée différemment par chacun, débouche sur une expression publique individuelle idiosyncrasique, chacun en personnage, en soldat, de la culture qu’il porte, dans son style apparent comme dans ses conversations ou ses publications sur les réseaux sociaux.
Les institutions culturelles se trouvent démunies dans leurs réflexions quant aux publics envisagés dans une dimension collective, après la disparition ou l’élision de la figure de l’amateur au profit, dans le mouvement de démocratisation culturelle, du grand public, à la fois cible des propositions culturelles souvent sans distinction et méprisé, et, sur un autre plan, les collectifs civils, sinon à travers quelques associations de retraités souvent actives et écoutées mais dont la place reste problématique, font défaut.
Il y a moyen, pour ces institutions, de s’appuyer sur des individus actifs, vis-à-vis d’eux-mêmes comme des autres, par exemple au travers de réseaux, dans une figure nouvelle et repositionnée de l’amateur, soldat culturel médiateur à travers lequel un espace nouveau de citoyenneté pourra être ouvert.

Ce qui, après l’énoncé des lignes précédentes, peut s’avérer pessimiste quant à l’essor d’une nouvelle citoyenneté, mais s’intègre dans les possibilités laissées d’une République toujours davantage institutionnelle et rationnelle-légale pour l’heure indépassable.

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