Il y aurait quelque chose à
écrire sur les formes d’images (contenus, documents) qui captent l’attention. Je pense en particulier
aux vidéos, mais aussi les photos, les articles, que l’on peut voir passer sur
Facebook, et plus largement le surf internautique.
Dans cette économie de
l’attention, qui est plus sûrement celle du rapt, du regard autant que de
l’image, puis du partage, qui peut aussi être renvoi, passe, exclamation, cri,
une connexion se crée.
Que l’on pense à ces étudiants
devant créer une médiation, dans un musée, et qui tremblent de rater la
création d’une connexion, chez les personnes présentes. Et au-delà à ce souci
de transmettre une chose sérieuse qui nous dépasserait, par sa transcendance,
son inappropriabilité ou sa complexité, presque irréductible à un échange
humain, presque badin, surtout amusant et fugace.
Quelque chose à écrire dans la
tension entre ces deux mémoires et pour le champ large, qu’agencées, elles
ouvrent.
Une chose originale, surprenante,
horrible, adorable, amusante, dans un format court quel que soit le média, sont
ce qui capte davantage l’attention. Il ne s’agit pas que de spectaculaire pour
autant, mais de démarque, de différence, même dans la série d’un
thème récurrent, tel qu’un sujet d’actualité politique ou un centre d’intérêt,
y compris une démarque des autres démarques.
La démarque est relationnelle, elle s’apprécie selon un contexte et doit être chargée d’un signe positif d’accroche, qui peut
paraître, dans une approche apriorique, négatif, comme l’horreur, la haine ou
la peur. Le contexte est fluctuant, rassemble des images et documents divers à
un moment donné, et en sein la différence se fait par comparaison. Ce peut être les messages qui viennent de défiler sur
Facebook, l’ensemble perçu des articles de presse sur un sujet, les
connaissances sur un objet, etc.
Pour proposer un contenu,
supposer une forme a priori n’est pas optimal, et peut davantage imiter,
constituant ainsi in fine un fond contextuel sur lequel un autre contenu fera
différence. L’originalité même n’étant pas décisive, dans un contexte où elle
serait norme le roboratif, le déjà vu, gagnerait la primeur du clic. Une lecture fine du contexte dans lequel
s’intègre le nouveau contenu est nécessaire.
Dans le monde des musées, il ne
s’agit pas simplement de faire advenir une chose à l’existant, comme l’esprit
de conservation puis d’exposition pouvait l’inciter. Sa forme et sa
présentation doivent être prises en compte, dans une culture, récente, du
design formel et communicationnel, et dans ce contexte également faire
différence.
Un autre critère doit être
relevé : la confiance accordée
ou à accorder à l’émetteur. Dans le mouvement de la présentation du contenu, et
de sa découverte, des signes sont perçus qui renseignent sur sa fiabilité. Ces signes sont perçus peu
consciemment, aperçus un à un et compris ensemble. Une discordance trop
importante amène à douter de la fiabilité du contenu et de la confiance à
accorder à l’émetteur, selon une ligne de partage entre le vrai et non-vrai, la
véridicité et la falsification (la blague). Un doute n’est pas nécessairement
un rejet, mais un autre mode de communication, un autre lien : il peut
faire différence, même être requis pour faire différence, dans un partage d’ironie à l’égard d’un contexte d’images
qui est un ressort médiatique puissant (le Gorafi, Canal+, la culture geek).
Les institutions muséales en particulier, surtout publiques, génèrent
une confiance spontanée importante. Leur devoir de fiabilité, qui implique des
contrôles depuis la formation du personnel jusqu’à la vérification de chaque
information publiée, peut être source de stress communicationnel, néfaste aux
liens souhaités avec les publics à travers les contenus, et la rigidité
institutionnelle, la peur de l’erreur, celle de la différence, sont lues dans
les publications.
S’il est question ici
implicitement essentiellement de médias froids, et d’émotions froides comme
l’ironie, l’ensemble des liens avec les publics et des émotions éprouvées
tendent à la chaleur. Plus encore, chacun navigue à travers des informations
multiples et beaucoup de bruit. En rupture avec les médias les plus courants,
un espace muséal spacieux, vide et calme, contre lequel luttent tous les
professionnels car signe d’un manque d’affluence, donc d’un désintérêt des
publics, donc d’une mauvaise performance de l’institution, est déjà une proposition
différente qui peut être valorisée comme telle.
Le recours à la falsification, à
l’ironie, est difficile dans les musées, au moins selon les codes les plus
courants de la culture médiatique. Une communication sincère, véridique et
pédagogique est plus souvent la norme, au contraire d’une malice, d’une
férocité, d’un mordant. Au musée des Confluences, le visiteur s’arrête devant
deux vidéos, au ton semblable à la série Karambolage d’Arte, qui remettent en
cause avec malice et férocité la compréhension par l’homme de l’évolution des
espèces et présentent, pour l’une, et expliquent à travers l’exemple de l’antilope,
pour l’autre, la théorie du buisson.
Sincérité, véridicité, pédagogie : trois modes de
communication qui, dans leur pleine innocence d’une légitimité à un lien, une
communication, pleine et sans perte, perdent du terrain depuis de nombreuses
années, sauf à atteindre un haut degré de persuasion acquis par un engagement
total et une compétence exceptionnelle dans tel mode, comme lorsqu’un ingénieur
de l’Agence spatiale européenne détaille la mission de la sonde Rosetta, ou qu’un
chaton ou un panda roux se contente d’exister. Ces exigences, pour les musées, peut
à certains égards entrer en conflit avec les volontés de simplifier et de
rendre plus accessibles les discours et les contenus.
Les nouvelles formes de communication, que l’on peut appréhender à
travers les images qui captent l’attention, valent pour tous les médias, avec dans
tous les cas différentes différences et façons de faire différence, divers
contextes d’images dans lesquels s’inscrivent les nouvelles images, et des
positionnements communicationnels qui doivent être pensés et volontaires.
Leurs principaux traits est celui
d’une actualité permanente à
laquelle les professionnels doivent être sensibles et attentifs, d’un volontariat (créativité, proactivité) qui
se distingue de l’imitation et de la neutralité, et d’une différence à inscrire perpétuellement. Ces traits tranchent avec la
culture muséale, qui tend pourtant vers elle depuis de nombreuses années à
travers les principaux débats qui la traversent (place des publics, médiations,
interactivité, économie, institution ouverte, etc.).
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